Mon interview de Lalou Bize-Leroy

Version longue d’une interview publiée dans Le FIGARO

Lalou Bize-Leroy, achète les vignes du domaine Leroy en 1988, alors qu’elle est encore co-gérante du domaine de La Romanée-Conti. Elle les convertit immédiatement à l’agriculture biodynamique. Cette méthode culturale, dont les bases ont été posées au début du 20 ème siècle par Rudolph Steiner, consiste à renforcer le système immunitaire de la plante et à dynamiser son écosystème par des traitements naturels précis, dispensés en fonction des rythmes cosmiques. La philosophie du domaine peut se résumer aux deux citations qui entourent la magistrale fresque d’achillées de la pièce de tri, représentant l’ensemble des constellations du zodiaque : « Le vin est d’inspiration cosmique, il a le goût de la matière du monde » d’auteur inconnu, et « Qui sait déguster ne boit plus jamais de vin, mais goûte ses secrets »  de Salvador Dali. Madame Bize-Leroy considère ses vins avec beaucoup d’animisme, ce qui les épanouit. D’une concentration rare, ils détiennent une capacité inégalée à refléter l’âme de leur lieu. Le domaine compte aujourd’hui 22 hectares de vignes, éclatés en un puzzle de 46 parcelles couvrant 26 appellations dont 9 grands crus et 8 premiers crus.

 Le vin, pour vous, ça a été une évidence?

Oui, pour moi le vin c’était naturel, j’ai grandi avec. Un quart d’heure après ma naissance, mon père m’a mis une goutte de Musigny 1929 sur la langue. Plus tard, pour me former, j’ai beaucoup observé. Et surtout, j’ai beaucoup, plus que beaucoup dégusté seule.

Qui sont ceux qui vous ont le plus influencé ?

Mon père bien entendu, avec qui je dégustais souvent. Je garde aussi le souvenir des vendanges de 1955, chez Monsieur de Saint-Quentin, un vigneron qui m’avait marqué par sa façon de faire.J’ai toujours pensé que c’était la bonne. Nous faisons comme lui aujourd’hui, même s’il ne dispensait pas tous les soins que nous offrons  à nos vignes. Mais c’était une autre époque, la folie des engrais contre laquelle nous luttons est venue après, dans les années soixante.

Vous avez supprimé tout produit chimique dès l’achat du domaine en 1988. Qu’est-ce qui vous a amené à choisir le mode de culture biodynamique ?

Mon mari m’avait montré un article de la tribune de Genève en 1987. Le journaliste y racontait sa visite chez Nicolas Joly (vigneron à Savennières). Il m’a dit « lis, je crois que c’est exactement ce que tu cherches ». Ce que je cherchais, c’était à considérer qu’au même titre que nous, tout est vivant. Nous sommes allés le voir en juillet 1988. J’ai pu constater que ses vignes étaient belles et saines, et je suis revenue convaincue. Le vigneron qui me conseillait m’a dit que nous n’arriverions jamais à tout convertir en même temps. Mais quand je comprends quelque chose, je veux le vivre tout de suite. Alors toutes nos vignes sont passées en biodynamie dès septembre 1988.

Vos vignes font parfois plus de trois mètres de long, ce qui est très rare en France. Pourquoi ne pas les rogner ?

La vigne, pour moi, ressemble plus à un animal qu’à une plante. Le bourgeon est conçu en juin et il sort en Mars, soit 9 mois plus tard. Ce sont de petites coïncidences qui sont fabuleuses. Séparer la vigne de son apex (bourgeon final) ce serait la séparer de la vie qu’elle porte en elle pour l’année suivante. C’est pour cela que nous ne rognons jamais.

A quelle cadence effectuez-vous les traitements biodynamiques que vous pratiquez ?

Tous nos soins sont effectués en fonction du calendrier biodynamique, lorsque la lune, chaque mois, passe devant les constellations du groupe fruit, soit sagittaire, bélier et lion.

Vous apportez un tel soin aux vignes, quelle place reste-t-il à la vinification et à l’oenologie ?

Lors des vinifications, ce sont les levuresqui sont dans la pruine des peaux- qui font tout le travail, ce sont elles le winemaker. Elles changent un végétal en liquide vivant, c’est une alchimie précise qui chaque année est différente. Le travail à la vigne les oriente, puis chaque cave à ses levures. Nous les laissons aller librement, car c’est cela qui fait le millésime. Nous nous contentons de surveiller et d’essayer de comprendre, ce qui n’est pas facile. Quant à l’œnologie, si ellene nous influence pas trop, elle nous évite des erreurs.

Comment décidez-vous que l’élevage des vins en fûts est terminé?

Ce sont les vins qui me disent quand les mettre en bouteille. J’attends, jusqu’à ce que tout soit fondu et que le nez corresponde à la bouche. Je les vois naître, grandir, je sens cette correspondance. Nous les y mettons sans doute un peu trop vite. Le directeur du laboratoire de Nuits-St-Georges me dit parfois de ne pas trop me presser. Mais moi, j’ai envie de les enfermer tout de suite. Ce que j’aime c’est que ça sente le raisin, alors que si on les laisse trop longtemps en fûts…

Recherchez-vous un style précis de vin ?

Je cherche à faire des vins qui expriment l’identité de leur site. J’ai toujours dégusté en essayant de comprendre pourquoi il y avait tant de différences entre nos vins. Cette recherche me passionne et c’est ainsi que nous en sommes arrivés aux soins que nous octroyons aux vignes. Je veux obtenir des vins qui aient quelque chose à dire, d’une matière dense et d’une identité propre. La biodynamie favorise cette identité. L’homme, il faut juste espérer qu’il ne fasse pas de bêtise ! Nous sommes la seule région au monde dans laquelle il y ait tant de différences.

Qu’est-ce qui explique cela ?

Notre terroir, c’est la seule chose qui compte. Il faut aller respirer l’air des villages aux différentes saisons pour s’en rendre compte. J’aime percevoir ce contraste quand les vins sont bébés, car avec le temps, il va encore s’accentuer. Le vin, comme l’homme, s’inscrit dans le temps. Quand ils viennent d’être faits, ce sont des bébés qui crient, ils ne sont pas très agréables. Dans dix ans, ça ira mieux. Je ne sais pas quand ils deviendront adultes, dans 30, 40, ou même 50 ans. Qui sait ? C’est pour ça que boire des vins jeunes est une hérésie. Pour moi ce n’est pas normal qu’un vin ne puisse pas vieillir. Même si je ne peux pas juger des autres terroirs.

Auriez-vous fait du vin ailleurs ? 

Non. Jamais. On m’a proposé plusieurs fois d’aller faire du vin dans l’Oregon ou en Californie. Mais je suis d’ici. Il faut avoir des racines, être du lieu pour pouvoir le comprendre, ou y vivre.

Aimez-vous les vins du nouveau monde ? 

Je ne dis pas qu’ils sont mauvais, mais c’est du winemaking. Ils font du vin, alors que c’est le vin qui s’impose à nous…

Un vin, d’une autre région, que vous aimez particulièrement ?

J’aime tout ce qui est sincère. Les grands crus classés de Bordeaux avec de l’âge, un Latour 1929, par exemple.

GV