RAYAS : Emmanuel Reynaud sans filtre

Pour des raisons de format, mon interview d’Emmanuel Reynaud publiée dans le Figaro avait été raccourcie. Voici la version longue.

Le domaine emblématique du Rhône cultive un certain mystère

« Pour vivre heureux vivons cachés ». Ce précepte populaire pourrait être celui d’Emmanuel Reynaud, le propriétaire de Château Rayas, à l’origine de l’iconique vin du même nom ; un Châteauneuf-du-Pape 100 % grenache distribué au compte goutte aux quelques chanceux amateurs à travers le monde qui s’en disputent les rares bouteilles obtenues uniquement par allocation.

Depuis combien de temps êtes-vous à la tête de Château Rayas ?

Cela fera vingt ans en Janvier. Le temps passe trop vite. Il est dans la famille depuis 1880 ; c’est mon arrière-grand-père qui l’a fondé et c’est mon grand-père qui m’a tout appris. Je tiens beaucoup de lui, je pense.

Qu’est-ce qui fait la singularité des terroirs de Rayas ?

Nous sommes situés dans un vallon ombragé, sur la face Nord. Il y a trois fois plus de bois que de vigne. Et surtout, le sol ; le sable de mer sans argile – l’argile permet de garder l’humidité et nous n’en avons pas – , très maigre, est le premier point qui fait l’originalité de Rayas. Il produit très peu. Selon les années, nos rendements sont de 5hl/hectare à 15hl/hectare. Cela fait partie du jeu, mais ça reste faible. Certaines années c’est même très faible. Les dix hectares de vignes qui servent à sa production se constituent de trois types de sables différents.

Comment ces trois différents terroirs de sable se retrouvent-ils à la dégustation ?

 Les parcelles situées dans le vallon sont celles où le sable est le plus léger. C’est « le cœur », la partie la plus compréhensible, qui va ressortir à la dégustation dans les 15 premières années de vie de Rayas. C’est celle qui apporte le plus de plaisir immédiat, vous aurez tendance à préférer cela à un moment de votre vie. Du côté du couchant, le sable est plus soutenu, plus gras, c’est « la chair » de notre assemblage. Du côté du levant , nous avons un sol plus ensoleillé avec de la pierre, plus chaud. On le ramasse plus tôt pour garder la fraicheur des raisins. Il sera « le squelette » du vin.

Laquelle préférez-vous ?

 La partie la plus sévère est celle que je préfèrerais. Le « squelette », qui se révèle après beaucoup de temps. Ce qui compte avant tout est que l’assemblage des trois est meilleur que chacune prise séparément. Faire des micros-cuvées c’est très dommage, parce qu’on écrème quelque chose. Par rapport à quoi ? L’avis d’un journaliste, un goût personnel ? Ca n’apporte rien.

Vous insistez sur la maturité du fruit, est-ce par là que la magie opère ?

Le vin, c’est très simple: c’est le fruit de la création et si l’on respecte la création, elle nous le rend. Tout fruit ramassé mûr parle et parle à l’infini. La maturité donne la longueur de fruit, plus on ramasse mur, plus on a de longueur de fruit. Un fruit est naturellement équilibré, mais il faut savoir quand le saisir. Dans tous nos vins, c’est la pureté du fruit que l’on goûte. Ils n’ont aucun parfum ajouté, il n’y a pas de bois,  juste de vieux fûts, qui n’ont qu’un devoir : faire l’échange avec l’extérieur pour que le vin évolue, vieillisse et s’affine. Au fur et à mesure, il se purifie par l’élevage, se dépouille ce qui l’encombre -les petites lies- et il ne reste que l’essentiel : le fruit.

Vos vins ont un extraordinaire potentiel de garde. La dégustation de vieux millésimes de Rayas vous permet-elle de voyager dans le temps ?

Oui, parfois. Ce qui est capital est de comprendre ce que le millésime veut partager. On oublie souvent cela. Quand on fait fermenter les raisins, on obtient une photographie. Chaque année on obtient la même photo, mais avec des couleurs différentes. On aime une œuvre et quelle que soit la couleur qui la compose on doit l’aimer. C’est à nous de faire jouer l’harmonie des couleurs, pour que l’année s’exprime. Il y aura des ressemblances d’esprit, car ils sont nés de la même famille, mais tous sont différents.

Quelle est la photographie de 2015 ?

2015 va être une photographie aux couleurs très soutenues. Ce mystère du millésime, on ne le touchera qu’avec le temps. Ce n’est pas la génération qui le fait, mais la suivante qui pourra le mesurer. L’histoire d’un domaine, c’est celle d’hommes. Mais l’homme n’est que de passage et c’est l’histoire du lieu qui doit se transmettre et rester dans un même esprit. Quand je bois un 1978 ou un 1929, je trouve ça extraordinaire, ils ont toujours des choses à dire. Il y a des années comme ça, qui vont très loin. 

Qu’est-ce qui explique selon vous la fascination des gens pour Rayas ?

Pour comprendre Rayas il faut accepter le mystère du lieu, la magie qui en sort. Nous sommes dans un environnement privilégié, protégé par ce vallon, le bois véhicule les parfums et protège les vignes de la chaleur comme du vent. La végétation démarre plus tôt, mais elle met plus longtemps à faire son cycle car elle est à l’abri. Toutes ces essences créent des courants d’air de parfums au printemps et des courants d’air chaud en été. Le sable reprend vite sa température après la chaleur. C’est un sable qui ne colle pas. Quand on le prend entre les doigts, on a ce grain qui est celui que l’on retrouve en bouche quand on déguste Rayas. Notre particularité est de faire des vins frais, et pour cela il faut un terroir froid – il nous faut une lune de plus pour mûrir par rapport aux autres- . Nous ne sommes pas meilleurs, nous sommes juste à part, car le lieu est à part.

Est-ce que vous entretenez ce mystère ?

Forcément. Naturellement. Par passion. D’abord parce qu’il il y a toujours un jeu intéressant à entretenir. Ensuite, parce que ce ne sont pas des vins qui sont faits pour tout le monde. C’est tellement subtil, il faut se donner la peine d’essayer de comprendre, aimer un certain mystère. Et nous n’avons pas assez de vin pour tout le monde, alors il est important pour le domaine de rester caché.

Rayas est depuis toujours distribué par un système d’allocation. Quelle clientèle privilégiez-vous ?

Il y a des gens qui boient du vin pour en mettre plein la vue. On ne veut pas de ces clients-là. On aime les gens qui sont passionnés par les belles choses, les bonnes choses. C’est essentiel d’essayer de partager avec eux. Le vin n’est pas fait uniquement pour les riches, il est fait pour tout le monde. C’est pour cela que nous avons créé le Château des Tours (domaine créé en 1989 situé à 8 kilomètres de Rayas, produisant des vins sous les AOC Vacqueyras et Côtes-du-Rhône Ndlr) , pour partager notre philosophie à un prix plus abordable. L’argent ça ne rapporte rien. La passion ça rapporte, ainsi que le plaisir de partager. C’est ce que je défends.

Et quelle viticulture défendez-vous ?

J’aime les vins faits plus simplement qu’ils peuvent se faire. Souvent, c’est trop recherché, les gens veulent atteindre la perfection, et il y a quelquefois du maquillage, ou des raisins pas mûrs. Il y a des conseillers et des œnologues, et ces gens-là ont besoin de prendre des sécurités s’ils veulent être reconnus. L’inévitable, c’est que le vin ressemble à la personne. Je pense que c’est naturel. On a la capacité de porter ce que l’on peut vivre ou pas. Je laisse le temps au temps, c’est compliqué pour beaucoup de gens. Quand on boit nos vins on dit fréquemment que l’on dort bien après, mais quand on voit ce qui se dégage dans le verre et dans la bouche, on se dit que c’est normal que ça nous épanouisse le corps. On a l’impression qu’on va décoller. Il y a en eux une certaine sagesse.

Rendent-ils plus sage ?

Je ne sais pas. Il faut demander ça à ma femme, mais je ne crois pas qu’elle serait d’accord (rires). Même si avec le temps, on a plus de philosophie, c’est certain.

GV