(Entretien commandé par La Tribune/ Vent Sud)
« Nos champagnes pourront être bus dans cent ans » Didier Depond
Créée par Aimé Salon à la fin du XXe siècle, la maison s’est propulsée au rang d’étoile. Comme telle, elle affirme fièrement son parti pris de ne confectionner qu’un seul champagne, constitué exclusivement des raisins de chardonnay qui s’épanouissent sur 6 hectares du grand cru Mesnil-sur-Oger. Sans assemblage, il ne voit le jour que les années extraordinaires (au 20e siècle, seuls 37 Salon sont nés). Nous sommes au cœur palpitant des terroirs d’excellence de la côte des Blancs, les parcelles du haut de l’église, comme pour nous rapprocher du paradis. Salon ne se possède pas, il s’apprivoise, se comprend. Salon ne se boit pas à l’apéro, il se déguste accompagné des mets les plus raffinés. Rencontre autour du temps avec Didier Depond, directeur de Champagne Salon depuis 22 ans.
Gabrielle Vizzavona : Comment intervient chez vous la notion de temps ?
Didier Depond : Le temps est l’essence même de la maison, de l’esprit des vignes et des vins tout au long du processus de production. Le temps, nous l’entendons aussi par l’année climatique. Nous avons les yeux rivés sur le ciel, nos actions dans les vignes en dépendent et suivent un calendrier précis qui vient avec des dictons tels « taille tôt, taille tard, rien ne vaut la taille de mars » ou « orage en avril rempli les barils ».
GV : Pourquoi est-ce si important pour Salon d’offrir à ses vins le luxe d’un vieillissement en bouteille excédant dix années ?
DD : Nous ne confectionnons que des champagnes millésimés, et pas tous les ans. Au 20e siècle, seuls 37 millésimes ont été produits. Nous sommes parfois restés cinq ans sans produire, peu d’entreprises peuvent se le permettre. C’est une tournure d’esprit particulière, le prix de la rigueur. La nature est généreuse, mais elle ne produit pas chaque année des choses extraordinaires et nous ne voulons que l’extraordinaire. Notre quotidien, c’est aussi de savoir quand ne pas produire de vin. Le temps de vieillissement de nos bouteilles est dicté par le millésime, mais chez nous il est de 10 ans minimum et nous sommes à 12 ans de vieillissement en bouteille à l’heure actuelle. Nous avons 15 ans de stock dans nos caves. C’est une vision à long terme que l’on rencontre peu aujourd’hui où tout est fait à la minute. Je fais des projections à plus de 15 ans, comme certaines entreprises japonaises font des plans à 100 ans. C’est peut-être pour cela que Salon est si populaire au Japon : nous nous comprenons.
GV : Vous êtes à contre-courant de la tendance, qui encourage à confectionner des vins prêts à boire plus rapidement ?
DD : C’est un problème économique. Il faut des vins accessibles, ronds. L’immense majorité des vins est faite pour être consommée rapidement. Nous assumons le vieillissement de nos vins pour éviter qu’ils ne soient bus trop tôt. Nous vendons des vins prêts à boire, pas des primeurs. Cela impose d’avoir une assise financière appropriée, de la volonté, une bonne organisation et surtout une vision.
GV : Qu’apportent de si longs vieillissements à vos champagnes ?
DD : Les raisins que nous utilisons proviennent des plus beaux terroirs du grand cru Mesnil-sur-Oger, ils sont d’une vivacité et d’une minéralité infinies, très salines. Les vins sont très droits, nets et propres, rectilignes dans leur jeunesse. « Propreté » est un mot que j’emploie à longueur de temps. Salon commence à être accessible quand il a quinze ans. Avant, c’est un jeune chien fou. Le 2002, par exemple, est un adolescent. On le boira avec plus de plaisir, d’ampleur et de grandeur dans 20 ans. À 25 ans, Salon atteint l’âge adulte. Cela suit l’évolution humaine, même si certains millésimes sont plus précoces que d’autres, tout comme les filles le sont plus que les garçons ! Ce vieillissement prolongé sur lies aide à assagir nos vins qui sont difficiles à boire dans leur jeunesse par leur force. Cet affinage nous offre de les arrondir par le temps et non par le sucre.
GV : Les vieux millésimes de Salon frappent par leurs notes prononcées de pain frais, de brioche et de pâtisserie, est-ce la gamme aromatique recherchée ?
DD : En effet, cette expression est chez nous poussée à son paroxysme. Alain Terrier, qui a été notre chef de cave, à la retraite depuis 10 ans, avait une approche du vin qui avait été façonnée par son enfance, passée dans la boulangerie de ses parents. C’était encré en lui et nous retrouvions ces arômes dans nos vins quand ils vieillissaient.
GV : Quel est le potentiel de garde des Champagnes Salon ?
DD : Cela peut aller jusqu’à 80 ans et plus. C’est un paradoxe, car le discours actuel est que le champagne ne se conserve pas. Les vins que nous confectionnons aujourd’hui se garderont selon moi mieux qu’il y a 50 ans. Nous avons gagné en maîtrise grâce au progrès technique, à la propreté à la cuverie et aux soins apportés à la vigne. Toutes les conditions sont réunies pour que nous fassions des vins qui pourront être bus dans cent ans. On peut facilement faire le parallèle avec l’espérance de vie humaine ; comme la médecine, l’œnologie moderne apporte une vie plus longue aux vins. Notre 2008 par exemple, que nous ne sortons qu’en magnum, ne sera pas pour nous ni pour nos enfants, mais pour nos petits enfants. Ce n’est pas dans la jeunesse que l’on désigne un grand homme ou une grande femme, c’est dans la durée que l’on voit comment les gens se comportent. La seule définition d’un grand vin est dans son potentiel de garde.
GV : Les amateurs de Salon arrivent-ils à résister à la tentation de consommer leurs flacons trop tôt ?
DD : Les vrais amateurs, les collectionneurs de Salon l’attendent comme un événement et savent quand ils ouvrent une bouteille trop tôt. Mes clients possèdent généralement plusieurs millésimes, ils commencent aujourd’hui à toucher ceux des années 90. Je crois que les gens savent faire la différence, quand on ne les trompe pas. Nos clients ont confiance, ils savent ce que nous faisons, ce qu’est Salon, millésime après millésime, et ils me connaissent.
GV : Trois mots pour définir Salon ?
DD : Rareté, élégance, rigueur. J’avais un jour comparé le millésime 97 à Audrey Hepburn ; peut-être un peu strict, mais tellement élégant. Salon, ce n’est pas forcément l’exubérance, ce n’est pas fashion du tout, mais c’est là pour longtemps. C’est l’expression même de la rigueur, pour atteindre le plaisir.
Dégustation Salon 2007
Salon 2007 s’ouvre sur un nez délicatement noisetté et anisé, le fruit est mûr, avec des effluves subtils de mirabelle et de cédrat, marqué par une dense minéralité parfumée d’iode et de tourbe. La bouche est un déploiement de richesse et d’énergie, pleine de mordant, très onctueuse, précise et longue, elle appelle les superlatifs. Le vin, dans ces jeunes années, est plein d’une fougue que le temps métamorphosera par une complexité accrue, l’accentuation des notes pâtissières qui signent les très grands chardonnays de la côte des Blancs et en l’étirant encore. GV
Prix : 420 euros